….En cette période de crise sanitaire majeure qui nous contraint de suspendre l’essentiel de nos activités et de reporter les manifestations prévues au cours des prochains mois, nous souhaitons maintenir le lien avec nos adhérents et leur proposer quelques lectures de nature à intéresser également les internautes visitant notre site.
….Pour inaugurer une série qui comportera plusieurs articles, nous commençons ci-dessous une histoire de la Basse-Navarre, avec un premier chapitre consacré (en toute logique !) au paléolithique.
Cette histoire, qui se veut à la fois documentée et pédagogique, est l’œuvre de Pascal Goñi, professeur d’histoire et administrateur de Terres de Navarre.
Histoire de la Basse-Navarre
Chapitre 1 : LE PALÉOLITHIQUE (400 000/-9 000 ans environ)
Le Paléolithique ancien
….Les plus anciens vestiges d’activité humaine datent en Navarre du Paléolithique ancien (ou inférieur), soit une période située entre 400 000 et 120 000 ans. Ils sont très rares et se situent dans des sites isolés (Zuñiga, Estella, Irunberri en Navarre, Bidache, le Pays de Cize, les bords de la Bidouze en Basse-Navarre).
Les outils caractéristiques de cette époque sont le biface et le hachereau en pierre taillée.
Biface en quartzite acheuléen retrouvé près de Bidache (Coll. Ikuska)
….Le Pays de Cize a été peu étudié par rapport au reste du Pays basque. La présence humaine remonte sans doute à 400 000 ans. Le cadre de la région était trop étroit pour les chasseurs-cueilleurs nomades qui évoluaient dans un désert humain foisonnant de vie animale. Ainsi, aucun habitat n’a été retrouvé. Le Paléolithique ancien est cependant représenté en Garazi par des outils en pierre découverts à Aincille, Bussunarits, Ahaxe, Lecumberry et Mendive. Les outils sont lourds, sommairement, mais habilement taillés pour dégager une pointe ou un tranchant à partir d’un grand éclat tiré de gros galets de quartzite. Ils servent à tous les usages: chasse, dépeçage des animaux, abattage des arbres, fouissage de la terre à la recherche de tubercules. Les petits éclats peuvent servir ensuite à confectionner des outils plus légers pour des tâches plus délicates.
….Le Pays de Mixe avait sensiblement le même paysage à l’époque où des Hommes s’y établirent. Les haltes étaient sans doute d’assez courte durée dans la région et les abris étaient en plein air. Les habitats ont été probablement bouleversés par les labours, mais des séries lithiques ont été retrouvées dans le secteur d’Amendeuix-Oneix et au sud de Labastide-Villefranche. Ces outils sont très massifs en ophite ou quartzite. Ici aussi, ils paraissent frustes, sommaires, mais la technique est habile et démontre une très bonne connaissance du matériau.
….Le mélange des industries (les mêmes sites ont été réoccupés à des époques différentes), les difficultés de datation (les outils évoluent très lentement et sont difficiles à distinguer), les éboulis de pente, la forêt et les prairies qui ont enfoui à jamais des témoignages, l’impossibilité de tout fouiller rendent très difficile l’étude de ce Paléolithique ancien qui reste très méconnu au Pays basque.
Le Paléolithique moyen
….Le Paléolithique moyen (120 000/35 000 ans) est la période de l’Homme de Néandertal et de la culture du Moustérien. Les archéologues n’ont pas retrouvé d’éléments osseux assez complets de ce fossile humain pour pouvoir décrire le Néandertal basque. Le peuplement commence à se stabiliser et à laisser des traces archéologiques plus claires. Un premier type, dit de plein air, est constitué d’habitats ouverts, sur des terrasses alluviales, près des gués de rivière (Bidache) ou sur des collines avoisinant les cours d’eau (Pays de Mixe) pour recueillir des galets dans les alluvions. Parallèlement, on retrouve des abris sous roche ou des grottes (Abauntz, Coscobilo détruit par une carrière aujourd’hui, en Navarre, Isturitz, Unikoté à Iholdy, abri sous-roche d’Ascarat en Basse-Navarre).
….L’industrie moustérienne se caractérise encore par l’utilisation de bifaces, de hachereaux servant de haches assujettis probablement à un manche en bois, mais aussi de pointes, de racloirs permettant de travailler les peaux. Le silex utilisé vient en majorité du «calcaire de Bidache». Les autres matériaux (quartzite, ophite) sont peu nombreux, sauf dans les régions qui ne possèdent pas de gisement de silex. C’est le cas du Pays de Cize où les matériaux sont semblables à la période précédente. Ils sont cependant plus légers et mieux standardisés. La plus haute altitude des objets découverts se situe au Baïgura (897 mètres). Les Hommes se déplacent davantage, mais les zones habitées en Pays de Mixe sont les mêmes que dans la période précédente, soit des collines qui voisinent les cours d’eau.
Le Paléolithique supérieur
….Homo sapiens (appelé autrefois Cro-Magnon) succède à Néandertal vers -35 000 ans. Cette période correspond à la glaciation appelée Würm, époque où les glaciers descendaient en dessous de 1000 mètres creusant par exemple le plateau glaciaire d’Okabé. Cinq grandes périodes divisent cette phase de la Préhistoire:
- l’Aurignacien (-35 000/-29 000 environ)
- le Gravettien (-29 000/-22 000 environ)
- le Solutréen (-22 000/-17 000 environ)
- le Magdalénien (-17 000/-12 000 environ)
- l’Epipaléolithique (-12 000/-9 000 environ)
….La population, assez peu importante au Paléolithique moyen, le devient davantage. La grotte d’Isturitz accueillait sans doute près d’une centaine de personnes. Elle était probablement l’habitat le plus important des Pyrénées occidentales. Cela augmentait les chances de survie. Le peuplement va peu à peu s’éparpiller. La haute montagne n’est parcourue que pour des expéditions de chasse. Par exemple, la grotte d’Oilaskoa (1300 m à St-Michel), qui a recueilli un nombre assez considérable d’ossements d’ours, n’atteste d’aucune trace humaine dans la Préhistoire.
….La culture du Paléolithique supérieur est caractérisée par le perfectionnement des outils, de nouveaux procédés de chasse (utilisation de sagaies et de harpons en bois de renne ou d’os), par des conditions de vie plus favorables. L’art se développe également dès l’Aurignacien comme l’attestent les statuettes de femmes, les représentations phalliques (plus rares), les os à stries. Il devient avec le temps plus réaliste et expressif.
….Désormais, les tâches se spécialisent. Les artisans vont mener l’industrie de l’os et du bois animal vers son apogée au Magdalénien. La production devient même supérieure aux besoins. Les pointes abîmées, pourtant réparables, des sagaies ou des harpons étaient abandonnées sur place. Cela signifie que ces hommes ou ces femmes calculaient par avance leurs besoins. Les outils étaient de plus en plus élaborés et leur taille de plus en plus fine (en particulier les «feuilles de laurier» au Solutréen). Ce perfectionnement technique oblige les Hommes à rechercher une matière première de très bonne qualité, presque exclusivement en silex. S’ils ne la trouvent pas sur place (celui de Bidache reste majoritaire), ils vont la chercher plus loin. Les archéologues ont retrouvé du côté de St-Jean-Pied-de-Port ou de St-Palais des variétés particulières de silex en provenance du Béarn, des Landes et même du Périgord, du Fumélois (Lot-et-Garonne) et de la Charente. A Isturitz, on a retrouvé des matières premières originaires de la vallée de l’Ebre en Espagne. Les échanges se développent largement des deux côtés de la frontière. Tout ceci marque une rupture franche avec l’Homme de Néandertal.
Rabot aurignacien (Coll. Ikuska)
….Ces Hommes marchaient beaucoup. Il est possible de mesurer leurs déplacements. Ainsi, la baguette demi-ronde, dite du «type d’Isturitz», se rencontre sur une dizaine de sites situés autour des Pyrénées dans un périmètre de 200 km environ. En Pays de Cize, un gisement de silex est probable dans la carrière médiévale de St-Jean-le-Vieux. Une pointe taillée et divers outils en silex ont été découverts dans un abri-sous-roche à Ascarat. Les sites habités sont sensiblement les mêmes qu’aux périodes précédentes, mais avec une plus forte densité de population et une augmentation des déplacements. En Pays de Mixe, les terrains schisto-gréseux ne se prêtent pas aux grottes et aux abris sous roche. Il a cependant existé quelques cavités creusées dans le calcaire au nord de St-Palais, mais plusieurs ont été détruites par des carrières (Bergouey, Arbouet).
….Les Hommes ont plus de temps pour se consacrer à des activités moins vitales comme l’art. Si Homo erectus ou Néandertal ont pu être des artistes (que l’on songe à la symétrie du biface chez le premier ou à l’utilisation de l’ocre chez le second), c’est Homo sapiens qui va donner à l’art toute sa grandeur. Est-ce de l’art pour l’art? Ou bien celui-ci a t-il une finalité? Ce débat a divisé les Préhistoriens. Les statuettes de femmes aux formes suggestives semblent être un hommage évident à la fécondité. Mais comment interpréter par exemple les os striés ? Ils l’ont été pour être mieux tenus en main, bien sûr, mais l’explication est aussi esthétique. A Isturitz, les propulseurs à crochet en bois de renne sont richement décorés, ainsi que les harpons. Les Hommes décorent avec soin les armes auxquelles ils sont sans doute le plus attachés. Ils négligent et abandonnent sur place ceux qui n’ont pas une grande valeur à leurs yeux. Ce sont les Aurignaciens qui ont su les premiers traduire graphiquement leurs pensées.
Décor d’un propulseur en bois de renne, déposé au Musée de St Germain-en-Laye (Coll. Ikuska)
….L’art du Magdalénien sera le plus riche du Paléolithique supérieur. Il est avant tout animalier par l’intermédiaire de la peinture ou de la gravure sur les parois des abris ou des grottes. L’art est devenu la préoccupation principale, l’expression d’une foi aussi sans doute. Dotés d’une grande habileté technique, les artistes magdaléniens reproduisent une remarquable exactitude des détails grâce à une mémoire visuelle vraiment étonnante. Quasiment toute la faune qu’ils côtoyaient a été gravée sur des galets, du grès, du schiste ou du calcaire, sur les os et les bois de renne: chevaux, cerfs, rennes, bisons, ours, loups jusqu’aux poissons, aux serpents et aux oiseaux. Sans doute y a t-il là une idée de domination ou de magie. Le célèbre petit félin gravé d’Isturitz ne porte pas des flèches barbelées sur ses cuisses forcément pour être tué à la chasse, peut-être voulait-on plutôt l’envoûter parce qu’on le craignait. Ces œuvres sont toujours réalisées dans un lieu d’accès difficile, caché. Il est probable que l’endroit corresponde à une sorte de sanctuaire réservé peut-être à des jeunes gens à qui des chamanes (des sortes de prêtres) enseignaient l’envoûtement sur les animaux, ou la prière dédiée aux esprits de la nature (soleil, vent, foudre). Cette idée est suggérée par les mystérieuses traces noires ou rouges relevées à côté des représentations d’animaux, ainsi que par des signes représentés sur eux: points, flèches… Des mimes, des danses étaient peut-être exécutés au son d’instruments de musique. Des flûtes ont en effet été retrouvées à proximité à Isturitz. Il existerait donc un lien entre ces figurations et la musique. L’art décoratif abstrait est aussi très riche: signes divers, spirales, cercles…
….L’art magdalénien est aussi caractérisé par des petits objets dits mobiliers. Parmi eux, les bâtons percés ont longtemps constitué un mystère pour les archéologues. Comme les Hommes en prenaient un grand soin, on les a longtemps considérés comme des bâtons de commandement pour les chefs. En réalité, il semble qu’ils servaient sans doute à redresser les flèches, les harpons, les sagaies, après que ces derniers aient été préalablement mis au feu pour être plus facilement redressables. Des flèches ont d’ailleurs été retrouvées à proximité de ces bâtons. L’art magdalénien est aussi caractérisé par des parures. Ces hommes et ces femmes avaient véritablement l’amour des petits objets (dents, coquilles, perles) qu’ils accrochaient autour de leur cou ou de leurs chevilles.
Petite tête de cheval d’Isturitz ayant sans doute servi de pendentif, Musée de St-Germain-en-Laye
(Coll. Ikuska)
….Les archéologues ont pu aussi déceler à Isturitz, au Magdalénien, des traces de rites d’inhumation. Le décharnement, la découpe de cadavres d’adultes, les gravures sur les os crâniens ne signifient pas nécessairement des pratiques d’anthropophagie, mais peuvent être l’expression de rites funéraires d’intérêt particulier pour le crâne qui avait certainement une haute valeur symbolique. Au total, les vestiges osseux sont très rares au Magdalénien. Isturitz n’a que de médiocres fragments bien trop incomplets pour se figurer l’aspect du Cro-Magnon basque.
Pour aller plus loin:
Claude Chauchat, «Jalons préhistoriques», Le Pays de Cize, Ed. Izpegi, 1991, pp. 37-43.
Marianne Deschamps: «Le Vasconien: révision de sa signification à partir des industries lithiques d’Olha I et II, d’Isturitz et de Gatzarria», Paléo, n°21, 2009-2010.
Manex Goyhenetche, Histoire générale du Pays basque, tome 1, Elkar, 1998, pp. 17-22.
Christian Normand, «Du bloc à l’outil», Harria eta herria, Bulletin spécial du Musée basque, 2002, pp. 313-335.
Christian Normand, «L’enracinement humain», Le Pays de Mixe, Ed. Izpegi, 1992, pp. 50-51.