Histoire de la Basse-Navarre
par Pascal Goñi
Chapitre 14 : LE TOURNANT DU XIème SIÈCLE
EN VASCONIE CITÉRIEURE
Guillaume-Sanche mort (997), une période d’atonie caractérise le gouvernement de son fils Bernard-Guillaume. Celui-ci semble s’être surtout attaché à confirmer l’action de son père, en particulier en faveur des monastères. Comme lui aussi, nous le retrouvons souvent à la cour de Navarre toujours avec le titre de Dominus totius Vasconiae. Il devait décéder sans enfant en 1009. Selon le moine Ademar de Chabannes (Chronique d’Aquitaine), le duc aurait eu des relations avec des femmes différentes, raison pour laquelle il finit par abdiquer en faveur de son frère, Sanche-Guillaume.
Formé à la cour de son cousin le roi Sanche III de Navarre, c’est accompagné de ce dernier qu’il se présente dès le début de son règne, en 1010, à Saint-Jean-d’Angély devant le roi de France Robert II, rendant ainsi publique sa préférence pour la suzeraineté navarraise. Mais, dès le siècle précédent, des comtés orientaux s’étaient détachés des comtés anciens et la partie occidentale elle-même avait aussi aussi connu une importante phase de morcellement par la création de nombreuses vicomtés (Béarn, Oloron, Marsan, Dax, Tartas, Maremne). L’importance des Landes dans cet ensemble s’est encore accrue, et Saint-Sever a affirmé son rôle de véritable capitale de la Gascogne.
Une période d’instabilité débute avec la mort sans héritier de Sanche-Guillaume. Le duché de Gascogne revient à son neveu, Eudes (1032-1039), devenu comte de Poitiers un an avant sa mort. Sanche-Guillaume sera donc le dernier duc de Gascogne. Leur succèdent ensuite Guillaume VII (1039-1058), le demi-frère d’Eudes, son frère, Guillaume VIII ou Guy-Geoffroy (1058-1086). Ce dernier défait en 1062 Bernard de Vasconie, qui après la mort sans postérité d’Eudes avait été reconnu comme comte de Gascogne, mais sans obtenir le comté de Bordeaux et sans le titre de duc qui revint à Guy-Geoffroy. Bernard devait alors se retirer à l’abbaye de Cluny. Le fils de Guillaume VIII, Guillaume IX, le célèbre troubadour occitan, aura droit aux louanges du chroniqueur de Sainte-Croix de Bordeaux pour avoir défait les Vascons «rebelles» et établi la paix et la justice.
EN NAVARRE
Au même moment règne en Navarre Sanche III le Grand (1004-1035), surnommé par les musulmans eux-mêmes le «Seigneur des Vascons». Il renforça la frontière avec l’islam sur la Rioja et en Aragon profitant du relâchement de la pression musulmane après la mort d’Al-Mansour en 1002 et le morcellement du califat en taïfas en 1031. C’est l’époque que les historiens ont appelé la «première Reconquista» où l’on assiste dans le nord de la Péninsule à un changement d’équilibre entre les forces chrétiennes et musulmanes. Depuis son mariage avec Munia, fille du comte de Castille, il était considéré comme le chef de la chrétienté dans la Péninsule ibérique. Le manuscrit de Roda l’encense: «Il fut bon avec tout le monde et combattit les Sarrasins. Il fut le protecteur et l’ami des moines». Il pouvait prétendre à la succession de Sanche-Guillaume en Vasconie citérieure, car depuis le mariage d’Urraca avec Guillaume-Sanche les deux dynasties voisines étaient apparentées. Certains actes du puissant roi de Navarre montre d’ailleurs sa prétention à l’héritage du vaste territoire d’outre-mont.
Il prit le titre de roi «dans toute la Gascogne» à partir de 1022 lors de la charte d’introduction de la règle de Saint-Benoît en Navarre et l’année suivante à l’occasion du concile de Pampelune qu’il convoqua pour restaurer l’Église de son royaume. Il mourut en 1035 et ses domaines (Aragon, Castille, Navarre, Biscaye, Alava, Guipuscoa) furent partagés entre ses fils. Les terres du Pays basque Nord ne sont pas mentionnées, mais relevaient de son domaine. Garcia, qui héritait de l’essentiel de ces terres, conservait la «potestas» et un droit de suzeraineté sur ses frères qui restaient «sub manu regis» (sous la main du roi).
La pierre tombale de Sanche III Garcès au musée de Leòn
(https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=7914832)
QUAND LA BASSE-NAVARRE SORT ENFIN DE LA NUIT
En même temps que le Labourd, la Basse-Navarre et ses sept vallées (Baïgorry, Cize, Ossès, Iholdy-Armendaritz, Arbéroue, Mixe et Ostabarret) sortent de l’ombre de l’Histoire. Les documents indiquent que la vicomté de Dax s’étendait au Xème siècle des deux côtés de l’Adour, de Tartas au Pays de Mixe et à l’Ostabarret. L’Arbéroue, le Pays de Cize et d’Ossès apparaissent dans l’apanage (biens relevant du roi) du 4ème fils de Fortun Sanche, vicomte du Labourd (1058-1063). Il avait été majordome, puis alferez (un équivalent de «lieutenant») à la Cour de Navarre sous Sanche III qui avait nommé son père Loup Sanche, premier vicomte du Labourd.
Une partie de la Basse-Navarre relevait de l’évêché du Labourd dont le premier titulaire fut Arcius, le frère de Gombaud. La charte dite d’Arcius (980), dont la valeur est contestée par certains historiens, fixa les biens et possessions de l’église Sainte-Marie du Labourd (sur l’emplacement de la cathédrale actuelle) après le démembrement de l’évêché de Bayonne par les Normands. Le Pays de Cize, la vallée de Baïgorry, d’Arbéroue, du Baztan dépendaient de ce prélat.
Malgré la modicité de documents peu prolixes, il est évident que les fiefs, honneurs, bénéfices et charges publiques relevaient à cette époque des rois de Navarre et non pas des Capétiens. On attribue ainsi à Sanche le Grand la mise en place de vicomtés au nord des Pyrénées dont les titulaires auraient été des parents du roi. Ceux-ci correspondent généralement à un évêché ce qui n’est pas le cas du vicomté de Baïgorry dont la petite-taille se justifie sans doute pour sa position stratégique au débouché d’une vallée. Malgré cette importance, les informations sur Baïgorry sont peu nombreuses en dehors d’un conflit qui l’opposa à l’abbaye de Sorde au début du XIIème siècle au sujet de la chapelle d’Olhonce à Çaro, en Pays de Cize.
Au niveau local, les deux puissances principales restent les vicomtés de Dax et du Béarn. Les Béarnais cherchèrent à étendre leur influence sur la Navarre, notamment Centulle V le Jeune (1058-1090), un protégé des rois de Navarre. L’affrontement tourna au désavantage du vicomte de Dax, qui perdit la vallée de la Soule. Mais déjà, le père de Centulle avait dirigé une importante armée sur le Pays de Mixe. Celui-ci fut tué par les Mixains qui s’emparèrent de nombreux prisonniers. Cependant, Centulle resta dans l’orbite du roi de Navarre. Si la Soule était sous l’influence du Béarn, un doute subsiste pour le Pays de Mixe et l’Ostabarret, anciennes possessions du vicomté de Dax. Ces deux territoires étaient revendiqués, semble t-il, à la fois par le duc d’Aquitaine et le roi de Navarre.
Les Gramont descendraient, selon Jean de Jaurgain, d’un cadet de la vicomté de Dax. Leur premier château, la Moulary, était localisé à Viellenave (qui ne sera fondé qu’au XIIIème siècle). A partir de leur base de Mixe, les Agramont (leur vrai nom en réalité) vont agrandir leur domaine et conquérir de nombreux titres et fonctions (chambellans, maréchaux, capitaines, gouverneurs, ambassadeurs). Leur position est stratégique entre la Gascogne et le Béarn dans une région où aucun obstacle naturel ne s’impose pour fixer une frontière incontestable. Seul, Bergouey est mentionné dès 982 dans le cartulaire de Saint-Sever, les autres localités des alentours n’émergeront qu’au XIIème siècle.
Les seigneurs de Luxe avaient la même origine que les Gramont. Dès le XIème siècle, ils disposaient d’une autorité sur les pays de Mixe et d’Ostabarret. Ils s’implantèrent sur ce site stratégique vers 1072 à proximité d’une voie du pèlerinage.
La Gascogne au XIIème siècle (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dux_Wasconum_1150.png)
Pour aller plus loin:
Manex Goyhenetche, Histoire générale du Pays basque, tome 1, Elkar, 1998, pp. 185-210.
Jean de Jaurgain, La Vasconie: étude historique et critique sur les origines du royaume de Navarre, du duché de Gascogne, des comtés de Comminges, d’Aragon, de Foix, de Bigorre, d’Alava & de Biscaye, de la vicomté de Béarn et des grands fiefs du duché de Gascogne, PyréMonde, Editions Régionalismes), 1898.