Quand le village de Saint-Michel inaugurait sa nouvelle église !
…..Nous vous proposons de découvrir un récit, daté du 28 mai 1899, dans lequel François Bon, juge de paix à Saint-Jean-Pied-de-Port, relate l’inauguration de la nouvelle église de Saint-Michel. Ce récit, lyrique et savoureux, est issu d’une archive privée et est illustré d’une photo évocatrice, quoique prise en d’autres circonstances.
…..À sa lecture, vous noterez que cette église était dépourvue de clocher ; ceci explique sans doute que la base Mérimée du ministère de la Culture mentionne 1905 comme date de construction, l’édifice étant alors achevé.
Nouvelle
Dimanche de mai à Saint-Michel
François Bon(*)
…..Or, ce matin-là, quatrième dimanche de mai, tandis que de légers nuages gris, poussés par une fraîche brise, lutinaient dans un ciel opalin, des ondes majestueusement sonore, essorées du vieux clocher de derrière la colline, annonçaient aux campagnes voisines, tout ensoleillées, que le bourg de Saint-Michel inaugurait son église neuve. Et, avec l’allégresse des jours heureux, le cœur plein d’une mâle fierté religieuse les paysans basques étaient accourus des limites extrêmes de la commune dévalant de leurs aires, perdues dans les sinuosités capricieuse de leurs montagnes bleues. C’était l’instant des pieuses solennités, où les traditions antiques se perpétuent dans une fidélité touchante, ont le don d’éveiller en eux les souvenirs amis des ancêtres couchés sous la froide pierre d’à-côté, souvenirs faits de vénération et d’adoration, qu’anime un souffle de liberté quasi sauvage, qui fait les joies plus vives, l’amour des siens plus intense, l’union des cœurs et des idées plus étroite et plus sensible. La civilisation avec ses innovations incessantes n’a pas encore atteint leurs traditions séculaires ; elle n’a pas osé effleurer leurs vieilles coutumes, même d’une aile légère ; et les multiples échos de leurs montagnes graniteuses répètent les mêmes cris, les mêmes chants, redisent les mêmes plaintes mélancoliques d’autrefois par une tradition pieuse et naïve.
…..Les roulements de tambour se font entendre ; les clairons sonnent aux champs. Et aussitôt, devant la « garde nationale » de Saint-Michel, toute flambant rouge et blanc, défile le clergé à pas lents et solennels, entièrement imprégné de la grave mission qu’il allait remplir. Oh ! Cette garde nationale ! Cette brave garde nationale !! À voir la conviction parfaite avec laquelle cette vingtaine de jeunes gens imberbes manœuvraient au commandement melliflu de leur chef, on eut crû la patrie en danger, les Espagnols aux portes de Saint-Jean. Ils étaient là, les jeunes montagnards dans un alignement quelconque, chacun avec son fusil, des canardières au long canon, transmises par un trisaïeul, les fusils à pierre maladroitement réparés par quelqu’infirme artisan ; des chassepots avec bayonnette fulgurante. Veston noir, pantalon d’une blancheur liliale, bérets multiformes et multicolores agrémentés de pompons variés. Sous ces bérets, de jeunes minois au nez légèrement crochu, à l’œil vif et pétillant, avec une esquisse de sourire apeuré à la commissure des lèvres, dans une attitude raide et comique. Le capitaine en dolman d’officier d’artillerie, un vrai dolman, galons dorés et brandebourgs sévères, lançait parfois des regards terrifiants sur sa troupe, émoustillait son second, un freluquet de lieutenant dont les sentiments devaient être bien doux et bien pacifiques, à en juger par un képi où triomphait une superbe lyre de chef de musique.
« Garde à vous !! Portez armes !!
En avant ! Pas ordinaire ( !!!!) Marche ! »
glapit le capitaine. Et prenant la tête du cortège la garde nationale se met en marche au son des clairons et des tambours. La foule suit, grave et recueillie. D’abord, les hommes de superbe carrure, à la face rasée, glabre et creuse, dont le profil est nettement découpé ; le front proéminent et bossué de la race se termine par de broussailleux sourcils qui lui donnent un aspect farouche. Puis, les jeunes filles au type banal très rustre, figures rosages et poupines, dissimulées sous un long voile aux blancheurs laiteuses, puis encore les matrones rivées sous leurs capuchons noirs; enfin le clergé fier et grave.
…..Arrivée au seuil de la nouvelle église, le cortège s’arrête, un prêtre accompagné de ses acolytes, bénit à grands coups d’hysope les portes et les murs en murmurant des prières latines.
…..Oh ! Sans prétention aucune cette toute petite église qui n’est pas encore pourvue de son clocher, dans le fond d’une place rocailleuse, encadrée par des maisons aux teintes douteuses, ternes et mordues par la dent acérée du temps, et que dominent les montagnes vertes de Saint-Michel et d’Estérençuby, où paissent doucement des troupeaux de moutons et de vaches aux sonnailles mélancoliques.
…..L’autel est paré comme aux grands jours. Les ors des bouquets, des chapes, des chasubles, des dalmatiques, des vases sacrés reluisent sous l’étincellement des cierges sur un fond d’une blancheur immaculée.
…..Le sacrifice a commencé et se poursuit au milieu des chants liturgiques entonnés par des poitrines puissantes, que secondent les voix quasi séraphiques des enfants de Marie, timides jouvencelles à l’œil noir perdu sous une mantille blanche. À l’instant de l’élévation un souffle de terreur sacrée semble passer sur tous les cœurs.
…..La garde nationale placée sur deux rangs, vient de se mettre à genoux en croisant les fusils avec un cliquetis d’armes choquées. Le capitaine et le lieutenant devant, inclinant respectueusement leurs épées croisées, tandis que les clairons sonnent aux champs, sous un roulement vibrant de tambours, et que les drapeaux en chœur, agités avec frénésie par de longs bras nerveux, semblent de grands séraphins déployant leurs souples ailes tricolores en des ondulations berceuses.
…..La minute a été solennelle; la foule émue, toute recueillie dans la lumière irisée, tamisée, filtrée à travers les vitraux neufs. La mélopée plaintive des jeunes filles continuent. Dans le chœur puissamment gardé par des forces imposantes, le tambour major donne des ordres secrets à ses hommes. Oh ! combien mirifique ce tambour major ! Sous son casque de pompier orné d’une majestueuse aigrette rouge et de branches dorées, dérobées aux vases des bouquets d’autel, sur lesquelles figuraient encore la grappe et le froment symboliques. Un dolman bleu de ciel légèrement fané, des pantalons aux blancheurs équivoques où couraient sans suivre le sens, des filets dorés, et une canne horriblement peinturlurée, complétaient sa tenue martiale, rendue encore plus délicieusement grotesque par sa grande stature de diable étique, aux maxillaires proéminents et au crâne hirsute…
…..Les forces imposantes sont représentées par quatre sapeurs imberbes, terribles cependant sous leur accoutrement bizarre, où la note primitive des coutumes ancestrales se décèle naïvement, très naïvement. Une grande toge blanche, faite de plusieurs tabliers, retenue par une ceinture rouge ou bleue passée en bandoulière, puis ceignant leur torse maigre, habillait la longueur sans fin de leur corps émacié. Sur leur tête se dressait, effrayant, en guise de couvre-chef, un eifelesque tronc de cône, à trois étages, formé de carton recouvert de papier argenté. À tous les étages des nœuds de soie, piqués de grelots de cotillon, où le bleu de ciel palissait timidement prés des reflets rouges, tandis que le mauve, le violet, le jaune, le vert, mariaient d’une façon criarde leurs nuances chatoyantes, sans les clignotements indiscrets de deux pauvres miroirs placés des deux côtés de cet étrange monument ; de longs rubans multicolores s’échappant de partout, en légères banderoles ondulant au souffle de la brise, complétaient le sus dit tronc de cône argenté.
…..« Ite missa est » la messe est dite, a psalmodié le prêtre. Et aussitôt, sous un fracas terrible de chaises bousculées, de clairons sonnants, de tambours battants, de commandements répétés, la foule s’ébranle avide de l’air ; et la brave garde nationale avec ses portes drapeaux, son tambour major et ses sapeurs, fait de nouveau fièrement, sous les yeux hurluberlus des gavroches et sous les regards d’amour des amies craintives, la conduite du clergé satisfait, qui, en de copieuses agapes, va boire aux cloches nouvelles.
Saint-Jean, 28 mai 1899
À Saint-Michel, un jour de fête religieuse.
Photographie Erguy. Collection privée.
(*) François Bon, juge de paix à Saint-Jean-Pied-de-Port, est né à Soumoulou en 1869. Il épouse, le 27 janvier 1899 à Saint-Jean-Pied-de-Port, Jeanne Pascaline Marie Lagarde. Ils vivent au n°3 de la rue d’Espagne où il décède en 1926. Ce texte, écrit de sa main, figure parmi d’autres dans un petit cahier (archive privée). Le titre et le sous-titre ainsi que le lieu et la date inscrits en fin de texte sont de l’auteur. La notice de la base Mérimée concernant cette église indique une date de construction postérieure à 1899…
« Originellement, l’église Saint-Michel Archange était l’église paroissiale de Saint-Michel. Aujourd’hui détruite, elle était située sur la rive gauche de la Nive. Il ne subsiste que le cimetière qui l’entourait. L’église Saint-Vincent devient alors paroissiale. Sur initiative de l’abbé Jean Habiague, elle est construite en 1905. A l’intérieur de l’édifice, des verrières à personnages sont signées Henri-Louis-Victor Gesta, de Toulouse, et datées entre 1905 et 1910. L’église a été restaurée au cours du 20e siècle. » https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA64000837 (consultation 06/05/2020).